Les transports ferroviaires et maritimes en Italie avant et après la guerre
Tipologia: Paragrafo/Articolo – Data pubblicazione: 01/01/1923
Les transports ferroviaires et maritimes en Italie avant et après la guerre
«Société belge d’études et d’expansion. Bulletin périodique», 1923, n. 44, pp. 328-338
Il n’y a peut-être pas de branche d’activité qui ait été plus profondément atteinte par la guerre que les transports par voie de terre et de mer. L’Italie n’a pu se soustraire aux conséquences de l’usure exceptionnelle de son matériel ferroviaire et de la destruction de sa flotte marchande par l’ennemi. Il ne sera point inutile pour les lecteurs de ce Bulletin, de jeter un rapide coup d’œil sur la situation d’avant et d’après-guerre en ce qui concerne le matériel italien, afin de leur permettre de tirer des conditions réelles de l’économie de chaque pays, des conclusions qui puissent être utiles à leurs relations réciproques.
Les chemins de fer et la marine marchande sont les instruments les plus puissants du trafic international, et il est important à cet égard, de savoir ce qui a été fait pour le développement de ce dernier. Je serai néanmoins bref dans ces notes succinctes, conseillant pour le surplus a ceux qui veulent approfondir la question, de prendre connaissance des deux documents suivants, très bien rédigés, à savoir: 1. Documenti sulla Condizione finanzaria ed economica dell’Italia (Librairie de l’Etat à Rome), avec les annexes au discours prononcé à Milan en mai dernier par M. De Stefani, Ministre des Finances; 2. Previsioni economiche du Professeur Georges Mortara (Editeur: l’Université Bocconi de Milan), qui renferment des chapitres très instructifs sur les transports terrestres et maritimes.
L’Italie, si l’on tient compte de ses conditions naturelles est assez bien outillée en fait de chemins de fer. Au 1er janvier 1923, elle en possédait à l’intérieur de ses nouvelles frontières 21.000 kilomètres, soit environ 18.000 à voie normale et 3.000 à écartement réduit. Ceci représente à peu prés la proportion de 7 aux 100 kilomètres carrés, tandis que les proportions de la France et de l’Allemagne sont respectivement de 10 et 12 (aux 100 kilomètres carrés).
Mais la France et l’Allemagne comportent un territoire beaucoup moins montagneux que l’Italie et davantage favorable à la construction des chemins de fer, et de plus un développement de cotes maritimes proportionnellement inférieur. Si l’on tient compte des Alpes qui séparent l’Italie des autres pays, de la choane des Apennins qui la divisent en deux parties et enfin de la surface déchiquetée de son territoire, il faut reconnaître que l’effort quelle a fait pour se doter de 7 kilomètres de voies ferrées par 100 kilomètres carrés et de 50 kilomètres par 100.000 habitants n’est pas inférieur le moins du monde à celui des autres pays mieux favorisés par la nature. Cet effort est d’autant plus méritoire que les chemins de fer en Italie ne peuvent espérer un trafic de marchandises lourdes comme les pays producteurs de fer et de charbon. Il se rencontre dans ce pays de vastes régions agricoles qui expédient des denrées de prix, mais légères et reçoivent des produits industriels finis qui ne demandent point un grand nombre de wagons pour leur transport.
L’Italie ‚tait avant la guerre assez bien outillée en matériel roulant. Pour 100 kilomètres de voies il y avait 32 locomotives, 67 voitures à voyageurs, 645 wagons à marchandises. La France en possédait dans l’ordre 32, 75, 861; l’Allemagne 46, 97, 981 la Grande Bretagne 61, 140, 2091. Si l’on réfléchit que d’une part le trafic en poids lourds est minime et que beaucoup de transports sur les côtes se font par cabotage, on en arrive à conclure que l’Italie n’‚tait pas bien loin en arrière d’autres pays plus puissants, économiquement parlant.
Nonobstant l’usure anormale consécutive à la guerre, l’Italie se trouve aujourd’hui en meilleure situation. Elle possédait en 1914, 6000 locomotives, 12.000 voitures à voyageurs, 110.000 wagons à marchandises. Ces chiffres sont devenus en 1923 respectivement 7500, 12.500 et 180.000. Les voitures pour voyageurs contenaient 600.000 places; elles en comportent maintenant 650.000. Les wagons à marchandises avaient un tonnage de 1.700.000 tonnes. Il est mont‚ à 2.900.000 tonnes.
L’effort économique a été considérable. Si les résultats acquis ne répondent point encore à ce que l’on en attendait, cela est uniquement d– à des circonstances que l’on peut espérer voir disparaître à bref délai. L’exploitation du matériel est devenue défectueuse après la guerre. En 1913- 1914, une locomotive parcourait en moyenne 29.900 kilomètres, une voiture à voyageurs 45.300, un wagon à marchandises 8.400. Ces chiffres sont descendus en 1921-1922 successivement à 22.500, 37.400, 5.700. L’utilisation moins bonne du matériel existant est due en grande partie à l’extraordinaire usure de la période de guerre. De 1913 à 1921-22, le pourcentage des locomotives hors service pour réparation monte de 18.8 à 26.6 %, celui des voitures à voyageurs de 27.7 à 48 % et celui des wagons à marchandises de 10 à 15 %. Tout le matériel utilisable est de même employé‚ de manière défectueuse, puisque l’intervalle de temps d’une charge à la suivante monte de 6 à 10 jours.
On peut calculer que le trafic des chemins de fer a grandi dans les proportions suivantes: en 1913, voyageurs-kilomètres 6.500.000.000, marchandises 7 milliard tonnes-kilomètres, en 1921-1922, voyageurs- kilomètres 7,5 à 8 milliards, marchandises 8 à 8 milliards tonnes- kilomètres[1].
Le trafic des marchandises est malheureusement très mal réparti pour des causes qui sont uniquement la conséquence de circonstances naturelles. En voici un exemple: en 1913, le poids des marchandises transportés s’élève à 51.000.000 de tonnes qui correspondent, à raison de parcours moyen, aux susdits 7 milliards de tonnes-kilomètres. De ces 51 millions de tonnes, 36 millions et demi étaient formés de marchandises destinées à des gares de l’intérieur, 14 millions et demi représentaient des marchandises chargées dans les ports pour l’intérieur du pays et vice-versa. De ces 14 millions et demi de tonnes, il y avait 12 millions chargés dans les ports vers l’intérieur comportant de la houille, du froment et d’autres céréales importées de l’étranger pour la consommation et seulement 2 millions et demi chargés en sens inverse et représentant: denrées alimentaires, vins, tissus, soieries, machines expédiées à l’étranger.
L’Italie souffre d’un véritable déséquilibre du trafic ferroviaire: les wagons doivent arriver à Gênes presque vides pour remonter vers l’intérieur remplis de matières encombrantes. Ceci a pour résultat à la fois un mauvais emploi du matériel et une augmentation des frais d’exploitation. Il n’y a donc pas lieu d’être surpris si les résultats financiers des chemins de fer n’étaient pas trŠs brillants avant la guerre. Les recettes totales qui atteignaient à peu prés 650.000.000 étaient de 250.000.000 inférieures aux frais si l’on tient compte dans les frais de l’intérêt du capital immobilisé.
M. De Stefani a résumé de la manière suivante le déficit des trois dernières années pour les seuls chemins de fer de l’Etat: 859 millions en 1919-1920; 1045 millions en 1920-1921; 1257 en 1921-1922. Si l’on tient compte que ces chiffres ne comprennent pas les intérêts payés directement par le Trésor, que les chemins de fer des nouvelles provinces donnèrent en 1921-1922 une perte de 173.000.000, que d’autres valeurs déficitaires (chemins de fer privés) ne sont point non plus incluses dans ces chiffres, on peut sans crainte d’exagération, tabler en ce qui concerne l’Italie, sur une perte de 2 milliards de lires pour l’exercice 1921-1922.
Ces faits appartiennent heureusement au passé‚. Les mesures énergiques qui déjà ont été prises et d’autres mises à exécution par le Gouvernement actuel ont permis au Ministre des Finances d’annoncer que, d’après renseignements fournis par les services compétents, le déficit sera réduit pour 1923-1924 à 374 millions seulement et que l’équilibre sera rétabli en 1925-1926: ce qui revient à dire qua partir de ce moment le Trésor ne perdra plus que les intérêts du capital des chemins de fer qui sont placés directement à sa charge tout comme cela se passait avant la guerre.
Les causes du récent désarroi dans les chemins de fer sont en partie indépendantes de la volonté du pays. Ainsi, le charbon qui coïtait en moyenne 36 1/2 lires par tonne en 1913-1914, s’est ‚lev‚ à 418 lires en 1920-1921 et à 243 lires en 1921-1922. De plus, il est de qualité inférieure au point que, pour réaliser un même effort de traction, il faut en consumer 50 % davantage. Au fur et à mesure que les prix baisseront, redevenant quadruples de ceux de la période 1913-1914, pour tenir compte de la dépréciation du papier monnaie, les frais d’exploitation diminueront et le déficit en sera d’autant réduit.
Une autre importante cause du déficit réside dans l’augmentation ‚norme du personnel. Ce ne fut pas tant l’élévation du salaire unitaire qui occasionna le dommage: le salaire monta, il est vrai, de 1918 lires en 1913-1914 à 10.946 lires en 1921, ce qui représente 471 %. C’est excessif vis-à-vis de la plus value de 400 % dont se contenta la moyenne des ouvriers appartenant aux industries privées. Mais ce qui grandit de façon extravagante, ce fut le chiffre des agents. Il y en avait avant la guerre 170.000 seulement pour le réseau entier des chemins de fer italiens: en 1922, les seuls réseaux de l’Etat en comptaient 236.000. En résumé, par 100 kilomètres de voies exploitées, il y avait en 1921, 1454 agents au lieu de 1103 en 1914.
Bien qu’à la date du 30 juin 1921, le trafic n’eut subi aucune augmentation proportionnellement à celui d’avant-guerre, les agents attachés au service des gares passaient du chiffre 40.300 à 70.100; ceux occupés au matériel roulant de 11.700 à 25.800; ceux faisant partie des dépôts ou conduisant les locomotives de 15.500 à 28.300.
Ce fut là, la vraie et principale cause de la désorganisation des chemins de fer. Et il y a lieu d’y ajouter en ce qui concerne les chemins de fer privés, l’application «bolchévique» d’une loi dite du «traitement équitable» qui prescrivait le rôle du personnel et le montant des salaires. Ceci fut cause que dans les petites lignes secondaires ouï une seule personne remplissait les fonctions à la fois de chef de gare, garde-salle, préposé‚ au guichet et au télégraphe, il fallut multiplier en nombre les employés chargés chacun d’une fonction spéciale. De plus, les salaires montèrent jusqu’à 10 fois pour le personnel subalterne et seulement de 1 à 2 ou 2 à 3 pour les fonctionnaires supérieurs. En conséquence, plus personne ne voulut travailler, l’égalité financière de l’inférieur au supérieur mena à l’indiscipline et l’indiscipline eut pour corollaire la paresse. Mus par le sentiment de leur force politique, les agents organisés n’eurent plus aucun souci de l’intérêt public.
Tout cela est à l’heure actuelle en voie de disparition. On peut dire que la discipline a été rétablie dès l’arrivée au pouvoir du nouveau Gouvernement qui dompta l’outrecuidance des organisations rouges. Les trains circulent suivant l’horaire et le public ne se plaint plus d’une mauvaise exploitation des chemins de fer. Le nombre des cheminots diminue au point que le Commissaire du Gouvernement peut se déclarer certain de pouvoir à bref délai réduire au chiffre maximum le nombre des agents des chemins de fer de l’Etat.
Les chemins de fer italiens, dans une proportion moins forte que celle qui avait été espérée au début, tentent de se soustraire à l’emploi du charbon pour la production de la force motrice.
Les lignes électrifiées à la date du 30 juin 1922 atteignaient un total de 589 kilomètres; elles en comptent aujourd’hui 770. Lorsque l’électrification des lignes Gênes-Spezia, Florence-Bologne, Florence-Faenza et Rome-Tivoli sera terminée, on dépassera les 1100 kilomètres de chemins de fer actionnés par l’électricité produite par les chutes d’eau des montagnes.
Si les affaires des chemins de fer se rétablissent par suite du retour à la discipline intérieure du pays, par contre le problème de la marine marchande continue à dépendre, lui, de la situation internationale. L’Italie est un pays auquel on a accès de l’extérieur par voie de mer principalement. Le Professeur Mortara résume comme suit l’importunée relative des accès maritimes et terrestres par millions de tonnes.
Importations | Exportations | |||
1913 | 1921 | 1913 | 1921 | |
Par voie de mer | 18.6 | 12.9 | 3.5 | 1.1 |
Par voie de terre | 2.5 | 3.0 | 1.3 | 1.7 |
21.1 | 15.9 | 4.8 | 2.8 |
Ces chiffres montrent en premier lieu combien a été remarquable le fléchissement en volume (mais non en valeur). En second lieu, ils mettent en évidence le déséquilibre grave, – conséquence déjà signalée de la nature du pays – entre les courants de sortie et les courants d’entrée. Contre 21.1 millions de tonnes de marchandises qui ont pénétré‚ en 1913, 4.8 millions seulement en sont sorties et ces chiffres rétrogradent respectivement à 15.9 tonnes et 2.8 tonnes pour 1921. Le premier danger qu’occasionne cette situation peut être pallié.
La destination ou utilisation des vapeurs a été également modifiée ainsi qu’il appert ci-dessous:
Nombres | Jauge lourde en millions de tonnes | Tonnage | |
1914-1923 | 1914-1923 | 1914-1923 | |
Navires cargo | 597 | 1793 | 2706 |
Navires citernes | 482 | 1099 | 1501 |
Frigorifiques, etc. | 56 | 135 | 162 |
Vapeurs passagers | 35 58 | 156 400 | 170 283 |
Vapeurs-mixtes | 127 169 | 280 379 | 288 390 |
L’augmentation a principalement port‚ sur les navires pour marchandises et les paquebots pour passagers et on constate une meilleure spécialisation dans les navires frigorifiques et ceux affectés au transport du pétrole (citernes).
De même la quantité‚ des navires s’est améliorée au point. Si l’on exclut les petites unités la classification se modifie comme suit:
Age | 1914 | 1922 | 1914 | 1922 |
jusque 5 ans | 66 | 198 | 184 | 1151 |
de 5 à 10 ans | 67 | 76 | 248 | 331 |
de 10 à 20 ans | 162 | 215 | 676 | 811 |
de 20 à 30 ans | 142 | 163 | 480 | 574 |
au-delà de 30 ans | 207 | 173 | 371 | 263 |
644 | 825 | 1959 | 3130 |
Les jeunes navires, ayant 5 ans, qui représentaient moins du 1/10 du tonnage global en forment à présent plus que le tiers.
Le point faible de l’économie maritime italienne ne réside point dans les navires mêmes, mais a son siège dans les chantiers navals. Les navires italiens sont peut-être en surnombre aujourd’hui. C’est un inconvénient commun au reste à toutes les marines ‚étrangères. Il existe pour faire face à un trafic moins important, un tonnage en bon ‚tat singulièrement augment‚. La crise des frets en d’écoulé, crise qui s’est accentuée à nouveau après avoir subi un court temps d’arrêt au printemps. Les armateurs de Gênes et de Trieste suivent heureusement d’anciennes traditions d’énergie et de capacité‚ commerciale, et il n’y a pas de doute qu’ils réussiront à conserver leur situation vis-à-vis de la concurrence internationale.
Au cours des années écoulées, ils ont eu à faire face à de graves difficultés suscitées par l’excessive ingérence de la Fédération italienne des Travailleurs de la Mer, dirigée par M. Giulietti, qui se donnait des airs de Dictateur de la Mer en arrêtant les navires, les désarmant ou refusant leur chargement.
Aujourd’hui, la discipline est beaucoup meilleure quoiqu’il demeure encore quelques réminiscences des anciens différends, à cause surtout de la puissante aide que M.Giulietti a trouvée auprès de l’illustre poète de l’Italie Nouvelle, Gabriele d’Annunzio. De cocoté aussi cependant, il y a un acheminement vers l’esprit de pacification.
Ce sont les chantiers navals qui constituent le point énigmatique de la marine et cela parce que, ayant pris une trop grande extension durant la guerre, ils doivent pour pouvoir s’occuper, continuer à demander au Gouvernement primes et subventions. C’est une double erreur en ce qui concerne la marine marchande. Primo, parce que grâce aux subsides arrachés en quelque sorte au Gouvernement, on continue à construire, bien que dans des proportions restreintes en un moment oui une suspension de constructions s’impose plutôt si on veut rétablir l’équilibre rompu entre les navires en surnombre et les transports au contraire en régression. Secondo, l’existence en quantité excessive de navires mixtes et de cargos battant pavillon italien fournit un argument permanent autant que persuasif à ceux qui demandent à l’Etat des subventions et des subsides pour des lignes postales et commerciales fixes. Ces lignes sont presque toujours déficitaires et malgré les subsides accordés, ne donnent point de bénéfices raisonnables. Il y a trop de parcours fixes et d’arrêts pour qu’elles puissent être prospères.
Elles ruinent entretemps le marché des frètes, parce que les subventions sont concédés par le Gouvernement à condition que les frètes demeurent bas et plus bas même que l’état du marché ne devrait réellement le permettre.
De cette manière, les navires de la marine marchande libre ne peuvent pas se hasarder à travailler des lignes privées par crainte de la concurrence de la marine subventionnée par l’Etat.
Le Gouvernement actuel a réduit les subsides en rapport de ceux payés les années antérieures. Mais la suppression complète de toute subvention, de tout subside, le maintien en vie des seuls chantiers navals aptes à exister par eux-mêmes est le plus grand service que l’on pourrait rendre à la marine libre. Celle-ci n’a pas besoin de protection qui ne peut lui être profitable, car elle vit sur la mer libre, et elle est assujettie pour le reste à tous les aléas de la concurrence internationale, aléas dont elle est à même de sortir honorablement et heureusement.